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matiere, n’ont rien de commun avec la faculté de vouloir & de penser : d’où il résulte que cet être appellé Nous est formé de deux principes de différente nature, tellement unis, qu’il regne entre les mouvemens de l’un & les affections de l’autre, une correspondance que nous ne saurions ni suspendre ni altérer, & qui les tient dans un assujettissement réciproque. Cet esclavage si indépendant de nous, joint aux réflexions que nous sommes forcés de faire sur la nature des deux principes & sur leur imperfection, nous éleve à la contemplation d’une Intelligence toute puissante à qui nous devons ce que nous sommes, & qui exige par conséquent notre culte : son existence, pour être reconnue, n’auroit besoin que de notre sentiment intérieur, quand même le témoignage universel des autres hommes, & celui de la Nature entiere ne s’y joindroient pas.

Il est donc évident que les notions purement intellectuelles du vice & de la vertu, le principe & la nécessité des lois, la spiritualité de l’ame, l’existence de Dieu & nos devoirs envers lui, en un mot les vérités dont nous avons le besoin le plus prompt & le plus indispensable, sont le fruit des premieres idées réfléchies que nos sensations occasionnent.

Quelque intéressantes que soient ces premieres vérités pour la plus noble portion de nous-mêmes, le corps auquel elle est unie nous ramene bientôt à lui par la nécessité de pourvoir à des besoins qui se multiplient sans cesse. Sa conservation doit avoir pour objet, ou de prévenir les maux qui le menacent, ou de remédier à ceux dont il est atteint. C’est à quoi nous cherchons à satisfaire par deux moyens ; savoir, par nos découvertes particulieres, & par les recherches des autres hommes ; recherches dont notre commerce avec eux nous met à portée de profiter. De-là ont dû naître d’abord l’Agriculture, la Medecine, enfin tous les Arts les plus absolument nécessaires. Ils ont été en même tems & nos connoissances primitives, & la source de toutes les autres, même de celles qui en paroissent très-éloignées par leur nature : c’est ce qu’il faut développer plus en détail.

Les premiers hommes, en s’aidant mutuellement de leurs lumieres, c’est-à-dire, de leurs efforts séparés ou réunis, sont parvenus, peut-être en assez peu de tems, à découvrir une partie des usages auxquels ils pouvoient employer les corps. Avides de connoissances utiles, ils ont dû écarter d’abord toute spéculation oisive, considérer rapidement les uns après les autres les différens êtres que la nature leur présentoit, & les combiner, pour ainsi dire, matériellement, par leurs propriétés les plus frappantes & les plus palpables. A cette premiere combinaison, il a dû en succéder une autre plus recherchée, mais toûjours relative à leurs besoins, & qui a principalement consisté dans une étude plus approfondie de quelques propriétés moins sensibles, dans l’altération & la décomposition des corps, & dans l’usage qu’on en pouvoit tirer.

Cependant, quelque chemin que les hommes dont nous parlons, & leurs successeurs, ayent été capables de faire, excités par un objet aussi intéressant que celui de leur propre conservation ; l’expérience & l’observation de ce vaste Univers leur ont fait rencontrer bientôt des obstacles que leurs plus grands efforts n’ont pû franchir. L’esprit, accoûtumé à la méditation, & avide d’en tirer quelque fruit, a dû trouver alors une espece de ressource dans la découverte des propriétés des corps uniquement curieuses, découverte qui ne connoît point de bornes. En effet, si un grand nombre de connoissances agréables suffisoit pour consoler de la privation d’une vérité utile, on pourroit dire que l’étude de la Nature, quand elle nous refuse le nécessaire, fournit du moins avec profusion à nos plaisirs : c’est une espece de superflu qui supplée, quoique très-imparfaitement, à ce qui nous manque. De plus, dans l’ordre de nos besoins & des objets de nos passions, le plaisir tient une des premieres places, & la curiosité est un besoin pour qui sait penser, sur-tout lorsque ce desir inquiet est animé par une sorte de dépit de ne pouvoir entierement se satisfaire. Nous devons donc un grand nombre de connoissances simplement agréables à l’impuissance malheureuse où nous sommes d’acquérir celles qui nous seroient d’une plus grande nécessité. Un autre motif sert à nous soûtenir dans un pareil travail ; si l’utilité n’en est pas l’objet, elle peut en être au moins le prétexte. Il nous suffit d’avoir trouvé quelquefois un avantage réel dans certaines connoissances, où d’abord nous ne l’avions pas soupçonné, pour nous autoriser à regarder toutes les recherches de pure curiosité, comme pouvant un jour nous être utiles. Voilà l’origine & la cause des progrès de cette vaste Science, appellée en général Physique ou Etude de la Nature, qui comprend tant de parties différentes : l’Agriculture & la Medecine, qui l’ont principalement fait naître, n’en sont plus aujourd’hui que des branches. Aussi, quoique les plus essentielles & les premieres de toutes, elles ont été plus ou moins en honneur à proportion qu’elles ont été plus ou moins étouffées & obscurcies par les autres.

Dans cette étude que nous faisons de la nature, en partie par nécessité, en partie par amusement, nous remarquons que les corps ont un grand nombre de propriétés, mais tellement unies pour la plûpart dans un même sujet, qu’afin de les étudier chacune plus à fond, nous